Bien évidemment, et sauf à ce que Penelope ait exercé – peut-être, qui sait, à l’insu de son plein gré ?, un emploi fictif, on peut s’indigner tant et plus, il n’y a – en l’état – rien d’illégal.
Quand j’écris « à l’insu de son plein gré », croyez bien qu’il ne s’agit pas simplement d’une reprise gratuite d’une formule qui connut son heure de gloire il y a quelques années et qui semble n’être jamais retombée dans l’oubli. C’est que, quand je lis les diverses interviews de cette malheureuse Penelope qui ressortent un peu partout à l’occasion de cette affaire, j’ai presque le sentiment que cette pauvre femme n’était même pas au courant qu’elle avait un emploi d’attachée parlementaire, tant toutes ses déclarations ont toujours visé à donner d’elle l’image d’une brave mère au foyer, style popote et confitures : le genre à veiller à ce que son élu d’époux ait l’esprit totalement dégagé des contingences domestiques pour donner le meilleur de lui-même au service de la nation. Le genre aussi, si j’en crois certains articles, à s’emm…. un peu au fond de sa cambrousse et à avoir envie de reprendre des études pour travailler et voir autre chose que le ménage, la lessive, le repassage, les couches des mômes, leurs devoirs, leurs crises d’adolescence, etc.
C’est bien pourquoi, toutes ces interviews soigneusement épluchées, j’ai du mal à imaginer que le gars Fillon soit tout à fait franc du collier. Je ne le pensais déjà pas avant cette histoire, ce n’est pas ça qui va redorer son blason à mes yeux.
D’autant que si cette brave Penelope voulait travailler de ses dix doigts, je suis absolument convaincu qu’elle n’aurait pas mis dix minutes à trouver un job digne de ses – je n’en doute pas – immenses compétences. Là où n’importe qui devrait envoyer des centaines de CV, affronter des dizaines d’entretiens, et rester inscrit pendant des mois et des mois à Pôle Emploi, il aurait suffi que le François laisse entendre par inadvertance à une de ses relations que Penelope cherchait du boulot pour que les propositions affluent ! Vous pensez bien que ce ne sont pas les employeurs désireux de mettre un nom prestigieux dans leur organigramme, et aussi peut-être soucieux de se faire un obligé d’un politique en vue, qui auraient manqué : j’imagine les affres de Penelope devant une montagne de propositions d’emploi « spontanées »…
Pour ma part, je n’y aurais vu que des avantages : une femme émancipée qui s’épanouit dans son travail, pour un féministe convaincu comme moi, vous pensez si je me serais réjoui, et d’autant plus que son salaire lui serait tombé dans le sac à main directement depuis des comptes en banque privés…
…alors que, dans le cas présent, qu’elle ait réellement ou non exercé l’emploi d’attachée parlementaire de son époux puis de son suppléant, et à un tarif qui, si j’ai bien compris, doit faire à la fois rêver et halluciner tous les attachés parlementaires en activité Penelope a touché de l’argent public. (Rappelons que pour l’emploi d’un proche, les textes – arrêté du 10 décembre 1996 élargi par l’arrêté du 23 mars 2011 – précisent que le salaire de celui-ci ne doit pas dépasser la moitié de l’enveloppe mensuelle mise à la disposition de l’élu – plafond qui semble avoir été joyeusement explosé. Rappelons également que le salaire moyen d’un assistant parlementaire se situe dans une fourchette de 2200 à 2600 euros nets, et que Miss Penelope a été rémunérée jusqu’à plus de 7000 euros, sans doute en reconnaissance de compétences d’exception.)
Bref, c’est vous, c’est moi, c’est nous qui avons payé son salaire !
Quant à l’argument de certains qui justifient la chose au prétexte que Fillon n’est pas le seul à employer quelqu’un de sa famille sur les deniers de l’État, il me consterne par son niveau à peine digne de la cour de récréation d’une école primaire : voir un automobiliste griller un feu rouge donne-t-il le droit de faire la même chose ?
Dans la panique qui semble s’être emparée du candidat Fillon, il se laisse aller à évoquer un « coup d’état institutionnel », une notion totalement inédite qui est censée faire frissonner de terreur l’électeur LR. C’est que monsieur Fillon tient à toujours donner de lui l’image d’un homme qui a de la hauteur : coup d’état institutionnel, c’est quand même plus chic que basse manœuvre politicienne de l’adversaire, ce que voudrait laisser entendre le candidat Fillon. Pour ma part, je serais plutôt tenté de croire que si François Fillon n’avait pas « flirté » avec les irrégularités, aucun cabinet noir n’aurait jamais pu « sortir » une telle affaire. Qui est le coupable ? Celui qui est pris la main dans le pot de confiture, ou celui qui dénonce cette indélicatesse ?
Que monsieur Fillon, à aucun moment, n’ait été effleuré par l’ombre d’un doute quant à la moralité de la chose, est certainement ce qui me stupéfie le plus. Encore une fois, au regard des textes, il n’y a rien d’illégal. Rien d’illégal, certes, mais il y a quelque chose de bien pire.
Dans une époque où les pires populismes font leurs choux gras des abus en tous genres et des mauvaises pratiques des hommes politiques du « système », qu’un politicien de l’envergure de François Fillon soit incapable de faire la différence entre illégal et immoral démontre, s’il en était besoin, que son épouse ait vraiment travaillé comme attachée parlementaire ou non, que ce personnage n’a rien, mais alors vraiment rien, à faire au sommet de l’État.